Issue d’une famille installée aux Antilles depuis plus de cinquante ans, Chantal Comte s’est passionnée pour le rhum auquel elle fut initiée par deux grands spécialistes, André Depaz et Paul Hayot en Martinique.
C’est André Depaz, propriétaire de la Plantation de la Montagne Pelée, qui la pousse à créer un métier qui n’existait pas alors dans le rhum et qui est courant dans le monde du whisky «whisky blender and bottler».
C’est aussi André Depaz qui la convainc de distribuer quelques unes de ses « réserves de Château » sous son nom Chantal Comte, lui mettant ainsi le pied à l’étrier. Mais si elle signe ses blends, parce qu’elle les revendique, elle respecte toujours l’origine et met en valeur le savoir-faire des distillateurs avec lesquels elle travaille et pour qui elle a beaucoup de respect et d’admiration.
Propriétaire du Domaine du Château de la Tuilerie à Nîmes dont elle fut la vigneronne jusqu’en août dernier, elle se consacre désormais complètement à son métier de sélectionneuse de rhums d’exception qu’elle exerce depuis trente ans.
TDR :Pouvez vous, nous expliquer les arômes des cannes selon leur variété :
Ayant été vigneronne en Vallée du Rhône (Costières de Nîmes) depuis trente cinq ans, parallèlement à mon action de Blender/Bottler dans le rhum, depuis trente cinq ans aussi, je m’étonne que le monde du rhum se réfère de plus en plus à celui du vin.
La différence, c’est que le vin est un jus de fruit (le raisin). Il connait une fermentation alcoolique, puis une fermentation malo lactique et en règle générale un élevage en cuve ou en fûts, alors que le rhum, après une fermentation alcoolique, ne connait qu’une distillation en colonne (bien qu’il y ait maintenant de plus en plus de recours à l’alambic, mais c’est une autre histoire).
Dans le cas du vin, il s’agit de vinification et pour le rhum, de distillation.
La distillation transforme la canne en "eau de vie" quand le vin est un jus fermenté. Le mode opératoire est totalement différent donc l’influence du cépage ne me parait pas évidente. L’exemple du cognac, en est la preuve, qui utilise un cépage neutre, l’Ugni Blanc, et c’est ensuite l’élevage qui en fait un grand alcool.
Pour résumer, je dirais que pour le vin, 80 % se joue au vignoble et 20 % en cave, alors que pour les spiritueux 20% se joue dans les champs et 80 % dans la distillerie. Contrôle des températures, qualité de la vaisselle vinaire, hygiène, qualité des fûts, intensité du brûlage, temps passé en fûts, en foudre puis en cuve inox, ouillage, évaporation (la part des anges), etc... C’est tout ce travail, dans la distillerie et dans les chais de vieillissement, qui fait un grand alcool.
Pour la canne, plus que la variété, ce qui est important c’est l’état sanitaire de la canne, sa teneur en sucre, la fraîcheur de la coupe (plus elle est proche de la distillerie, plus juteuse sera la canne).
Le reste est, à mon avis, plus un argument marketing qu’une réalité. Je défie quiconque de retrouver, par la dégustation, si le rhum vient de telle ou telle partie de l’île et, plus encore, de retrouver de quelle variété de canne il est issu !...
TDR : Comment est venue l’idée de Vosrhums blancs :
L’instinct ! Comme l’écrivait Joseph Delteil, le Poète-Vigneron « je serai compris dans trente ans, quand reviendra le règne de l’instinct ».
Longtemps je n’ai été intéressée que par les rhums vieux car beaucoup de rhums blancs étaient seulement une base de Ti-punch… mais la distillation comme l’œnologie, a beaucoup changé et perfectionné ses méthodes depuis quinze ou vingt ans et j’ai découvert des arômes et une complexité qui m’ont convaincue. C’est pourquoi j’ai créé « Fighting Spirit Red » (le premier), puis « Blue » et en avril je mettrai sur le marché « Fighting spirit Gold », que je recommande de boire purs et glacés.
J’ai également créé en blanc la « Cuvée Caribaea » et « La Tour de l’Or Blanc » que j’ai lancées en novembre dernier. En trente cinq ans, je n’ai eu que cinq rhums blancs dans ma collection, ce qui est peu, comparé aux nombreuses cuvées de rhum ambré (vieux et extra-vieux) que j’ai diffusées.
TDR : La notion de millésime existe-t-elle dans le rhum ?
On revient à la question récurrente de la fascination du monde du rhum pour celui du vin… en effet, autant dans le vin, la notion de millésime est essentielle (climat, pluviométrie, équilibre des saisons, terroir, attaques de mildiou, sécheresse etc…) autant cette notion est inexistante dans le rhum. En effet, il peut y avoir des récoltes plus ou moins abondantes et une sécheresse ou une pluviométrie plus ou moins importante mais cela va surtout conditionner le volume et peu jouer sur sa qualité.
Encore une fois c’est le rôle du distillateur-éleveur qui est important. L’effet millésime, à mon avis, n’est pas très déterminant. Je parlerai, plus loin, du compte d’âge.
TDR : Vous avez beaucoup de degrés dans vos rhums blancs
Tous mes rhums blancs sont à 50 % Vol sauf « La Tour de l’Or Blanc » qui est à 46.04 % Vol. Pour moi un rhum blanc au dessous de 45 % Vol n’a pas d’intérêt. Si on craint le degré, je conseille de boire de l’eau. L’équilibre pour moi est à cinquante ! Et il n’est pas besoin d’en boire beaucoup pour avoir du plaisir. Une goutte suffit !
Cela nous amène au problème de l’eau.
Dans le rhum, comme dans le whisky, l’eau est très importante.
Comme je l’ai dit plus haut, une canne hydratée, fraîche à son arrivée à la distillerie sera meilleure, aura de meilleurs rendements mais aussi, au moment de « l’imbibition » (on arrose la canne avant de la broyer), la qualité de l’eau sera très importante, comme dans la réduction (ramener le rhum à un degré de consommation souhaité par l’ajout d’eau). Il existe en Martinique des sources filtrées par la lave de cette île hautement volcanique, des eaux fossiles, aussi intéressantes et importantes dans la qualité finale du rhum que l’eau des lacs écossais, pour le whisky.
TDR : N’y a-t-il pas plusieurs récoltes dans un millésime ?
Vous posez la bonne question. En effet, la récolte de la canne, règlementée par l’AOC Martinique dure six mois. Comment voulez-vous qu’il y ait l’influence d’un millésime ? Tant de choses peuvent se passer sur le plan climatique en six mois de récolte
Aux millésimes que le public réclame, je préfèrerais le compte d’âge qui en dit tellement plus sur la qualité d’un rhum.
Dans les dernières cuvées de rhum vieux que je vais diffuser à partir du mois de mai prochain et qui seront en effet millésimées, j’insiste surtout sur la traçabilité de l’élevage : année de récolte, date de mise en vieillissement, combien d’années en fûts, combien d’années ensuite en foudre, combien d’années de repos ensuite en cuves inox, date de mise en bouteilles.
C’est cela qui est important. Il faut revenir à l’essentiel : la qualité intrinsèque du produit. Ne pas chercher à plaire à tout le monde mais à ceux qui savent.
Ne pas se focaliser sur l’âge : un rhum de cinq ans peut être une merveille de jeunesse, de fraîcheur, de charme et je crains ceux qui sont restés trente ans en fûts car il ne restera que le bois, la sécheresse et tous les arômes de fraîcheur auront disparu.
Le monde du rhum et ceux qui le font et le vendent devraient être fiers de ce produit incomparable et revendiquer leur différence, ne pas essayer d’imiter le monde du vin ou faire référence à d’autres spiritueux.
TDR :Le Terroir :
Comme l’écrivait le philosophe Michel Onfray « La pierre contribue à une grammaire, une syntaxe, qui permettent un "style" ce qu’en d’autres termes, on appelle terroir ».
Donc, la lave est un terroir. Il apporte sans doute aux rhums de la Martinique, comme de tout l’arc antillais, une sorte de puissance tellurique que je suis obligée de reconnaître mais c’est un terroir égal, pour toutes les îles de la Caraïbe. C’est pourquoi je suis plus attachée dans le cas du rhum à une notion de climat, d’exposition.
Par exemple, la Côte Atlantique est plus balayée par les vents marins que la Côte Caraïbe, et je retrouve une salinité, un côté iodé qui me touchent d’avantage.
Ailleurs, l’influence de la forêt humide et chaude aura aussi une influence sur l’élevage des rhums et la part des anges. On pourrait citer d’autres exemples.
TDR : Merci Madame, décidément je resterai un fervent admirateur de vos cuvées d'exception